L’éducation à la paix : exemple du mouridisme.
La violence
a toujours été l'un des principaux problèmes dans notre monde. L'histoire de
l'humanité est jalonnée de conflits et de guerres causée par la religion, la
politique et la différence ethniques.
De nos jours, le monde musulman connait des conflits
interconfessionnels les plus meurtriers, avec une proportion fulgurante, et
certains groupuscules poussent la violence à son paroxysme et pervertit ainsi
la notion de paix qui constitue une valeur fondamentale au sein de l’islam. Ce
phénomène inquiétant et dangereux qui menace la paix et la stabilité des pays
musulmans interpelle tous les penseurs et décideurs. Il nécessite une réflexion
profonde et sérieuse afin de trouver pour une solution pouvant endiguer la
violence.
Dans un tel
contexte, il y a lieu de s'interroger sur les véritables causes de ce phénomène
et de réfléchir sur les éventuels mécanismes et moyens susceptibles
d'épargner notre société d’être contaminée par cette épidémie qui atteint de
plus en plus de nouveaux territoires. Dans ce sens, le soufisme offre un remède et
propose des mécanismes de prévention contre la violence quelles que soient sa
source et sa nature. Après avoir brièvement analysé les principales causes de
la violence dans le monde musulman, nous tenterons de proposer des solutions
tirées de la pensée soufie et plus particulièrement de l’enseignement de Cheikh
Ahmadou Bamba.
Les causes de la violence dans le monde musulman
Ces dernières années, plusieurs groupuscules
ont émergé dans des pays musulmans avec des appellations différentes.
Promouvant une même idéologie à savoir marcher sur le sillage des successeurs
du prophète (PSL) ; ces groupes adoptent plus ou moins les mêmes
stratégies de violence et visent les mêmes objectifs. De l’Afghanistan au Mali
en passant par l'Irak, la Syrie, la Libye et le Nigeria, la méthode est
toujours la même : exercé la terreur sur tous leur passage qui touche aussi
bien les musulmans que les non musulmans et avec des revendications et
justifications aussi diverses que les situations politiques des pays
concernés.
Les analystes et les observateurs s'interrogent sur les causes de cette violence et sur l'origine des idéologies qui prône cette violence. Dans leurs explications, plusieurs hypothèses ont été avancées. Si d'aucuns mettent en avant les causes socioéconomiques, ethniques ou géopolitiques, d'autres incriminent le fanatisme et l'extrémisme religieux. Par exemple Abdallah Saaf, dans son livre Violence politique et paix dans le monde, trouve ainsi les causes du problème : « Le phénomène peut être observé à travers le prisme de l’éloge ou de la dénonciation, de la bonne perception de soi et des perceptions indignées de l’extérieur, des procès d’intention et de l’analyse des motivations, de la philosophie des choix et des valeurs qui l’enveloppent ». Ces interprétations du phénomène du Jihadisme dénotent une certaine difficulté de l'appréhender et de déterminer ses véritables causes.
Les analystes et les observateurs s'interrogent sur les causes de cette violence et sur l'origine des idéologies qui prône cette violence. Dans leurs explications, plusieurs hypothèses ont été avancées. Si d'aucuns mettent en avant les causes socioéconomiques, ethniques ou géopolitiques, d'autres incriminent le fanatisme et l'extrémisme religieux. Par exemple Abdallah Saaf, dans son livre Violence politique et paix dans le monde, trouve ainsi les causes du problème : « Le phénomène peut être observé à travers le prisme de l’éloge ou de la dénonciation, de la bonne perception de soi et des perceptions indignées de l’extérieur, des procès d’intention et de l’analyse des motivations, de la philosophie des choix et des valeurs qui l’enveloppent ». Ces interprétations du phénomène du Jihadisme dénotent une certaine difficulté de l'appréhender et de déterminer ses véritables causes.
Quelles que soient
les causes, l'extension du phénomène et le degré de sa violence sont une
réalité évidente ; d'où la nécessité de s'interroger sur des moyens de
prévention et de lutte contre cette pensée destructrice afin de
protéger la paix et la cohésion sociales dans les pays musulmans. Au-delà des
solutions socioéconomiques ou politiques que l'on peut envisager, les
enseignements du soufisme peuvent apporter une réponse d’une inestimable
efficacité.
Les enseignements du soufisme et l'éducation à la paix
Les psychologues
ou sociologues s'accordent généralement pour imputer la violence et la
recrudescence des sentiments de haine à des problèmes d'ordre psychologique,
sociologique, économique ou politique. Mais une analyse minutieuse dans une
perspective spirituelle peut nous amener à découvrir les racines les plus
profondes qui alimentent l'esprit de violence, de haine et de l'insociabilité chez
certaines personnes dans le monde musulman. En effet, les vices telles que la
vanité, l'orgueil, l'intolérance et autres rendent malade l’âme ; par
conséquent l’homme se trouve sous l’emprise de ses passions et menace ainsi la
paix et la tranquillité de la société.
C'est la
méconnaissance de cette source de la violence qui rend donc inefficace la
plupart des moyens de lutte contre son expansion, d'où l'importance d’analyser l'apport
du soufisme en tant que système de valeurs, de méthode d'éducation spirituelle
et comportementale. Si les confréries soufies apparaissent comme un
facteur de stabilisation et de paix, c'est grâce aux principes du soufisme et à
sa méthode éducative. De plus, le soufisme constitue la troisième dimension de
l’islam. En effet, Sayydina Oumar le second Khalif raconte dans un hadith qu'un
jour :
le Prophète Mohammad (PSL) était avec ses
compagnons, ces derniers virent arriver un jeune homme habillé en blanc, ne
portant sur lui aucune trace de poussière du voyage. Cet homme s’assit en face
du Prophète, plaça ses jambes contre celles du prophète, et lui demanda :
" qu’est-ce que l’Islam ? Le Prophète répondit : l’Islam, c’est la
soumission à Dieu, basée sur la pratique des cinq piliers : le double
témoignage de l’unicité divine et de la révélation muhammadienne, la prière,
l’aumône, le jeune du mois de ramadan et le pèlerinage à la Mecque. Le jeune
homme dit alors : "tu as dit vrai !", ce qui ne manqua pas d’étonner
les compagnons. Puis il demanda : qu’est-ce que l’iman ? (la foi). Le Prophète
répondit : l’iman, c’est le fait de croire en Dieu, en Ses anges, en Ses
livres, en Ses envoyés, au Jour du jugement, et à la prédestination. Ici
encore, le jeune homme s’exclama : "tu as dit vrai !", puis demanda :
qu’est-ce que l’ihsan ? (l’excellence du comportement). Le Prophète répondit :
l’ihsan, c’est "d’adorer Dieu comme si tu le voyais, car si tu ne le vois
pas, Il te voit". Après confirmation de ces paroles par un nouveau
"tu as dit vrai !", et quelques nouvelles questions, le jeune homme
partit. Le Prophète demanda alors à ses compagnons s’ils savaient qui était ce
jeune homme. Devant leur ignorance, il leur révéla qu’il s’agissait de l’ange
Gabriel, venu leur enseigner leur religion.
Selon ce célèbre hadith du Prophète Mouhamad, (PSL),
l'islam se divise en trois parties à savoir la foi, la mise en pratique de
cette foi et l'excellence dans la pratique. Cette dernière dimension, qui se
fonde sur la purification de l'âme et l'éducation spirituelle, fait l'objet du
soufisme. Ce dernier s'intéresse essentiellement aux passions et cherche à
libérer l’homme de ses passions qui le
rendent insociable. L'éducation soufie repose ainsi sur des méthodes
d’éducation qui cherche à guérir l’âme charnelle de ses maladie pour que
l’aspirant atteigne le plus proche possible à l’état de moralité éminente dont
parle le Coran au sujet de Mouhamed (PSL) à la sourate 68, au verset 4. En
atteignant ce stade de rectitude l’homme sera digne d’être le représentant de
Dieu sur terre. En effet, il ne verserait pas le sang et ne sèmerait pas le
désordre sur terre comme le pensait les anges.
Une telle éducation
oriente le croyant vers son Créateur, et par conséquent il pourrait consacrer
son temps à son essence à savoir l’adoration de Dieu. Ainsi, le musulman se
fait aimer par son Seigneur à travers les actes qu'il pose. Le vrai combat que le
musulman doit mener est de lutter contre
son âme charnelle et ses passions. Cette aptitude, qui favorise un climat de
paix et de tolérance, constitue un idéal au sein du soufisme et parce que
l’utilisation de la force est bannie dans une telle société.
Cette vision de l'islam constitue le fondement de la pensée soufie. Par suite logique, le soufisme n'est pas compatible avec la violence religieuse violent ni avec l’interprétation exclusive des textes sacrés ; il va ainsi à l'encontre des courants qui sèment la terreur partout où ils s’implantent. Dans le contexte actuel du monde musulman et particulièrement de notre sous région, une prise de conscience est nécessaire quant à l'importance de la sauvegarde de la paix et de la stabilité de nos Etats très fragiles. L'une des meilleures stratégies dans cette perspective est d’occulter et de propager la culture de paix que les enseignements soufis développent notamment la vision de Cheikh Ahmadou Bamba.
Serigne Touba a non
seulement enseigné la paix et la tolérance dans ses écrits, mais sa vie peut
aussi nous servir de modèle. En effet, le Cheikh a incarné les principes de
paix et de tolérance prêchée par l’Islam. Cette attitude se manifeste à
travers sa conviction de l'inefficacité de l’utilisation de la force encore
moins de la violence pour convertir des hommes à l’islam. Son combat contre le
fanatisme et l’intolérance est constant ainsi que son appel au pardon et au
respect des points de vue des autres comme nous le voyons dans les vers
suivants tirés des poèmes de Mawahibu-Nafi et de jazbul qulûb :
Tu as amélioré ma situation, sans que je ne fasse le déplacement,
Oriente les miens vers la
bonne voie par mon intermédiaire, sans douleur ni peine
Après une prière éternelle (sur
le Prophète) ainsi que sur sa famille et ses justes compagnon,
Rénove la voie par Mon intermédiaire, sans adversité ni douleur.
Rénove la voie par Mon intermédiaire, sans adversité ni douleur.
C’est grâce à lui (le
Prophète) que nous nous sommes préservés à jamais
de la guerre et de l’humiliation.
de la guerre et de l’humiliation.
C’est grâce à lui que nous
avons la quiétude et que mes œuvres à son profit sont exaucées
Le Cheikh implorait ainsi le Tout Puissant dès le début du poème, pour qu’Il l’oriente ver la voie de la paix et vers le succès de sa prédication sans aucune forme de violence. Il nous montre ici qu’il ne s’est jamais détourné de cette voie malgré les multiples provocations de la part des autorités coloniales ainsi que de l’aristocratie ceddo. A l’adresse des colonialistes, il compose un poème intitulé « Ya Jumlatan » dont nous tirons ces vers :
Ô Vous qui par ignorance
professez la trinité à l’égard de DIEU,
Celui qui n’a point engendré et n’a pas été
engendré,
Vous m’avez fait sortir de ma
demeure au motif que je suis
l’adorateur de Dieu et que je mène le jihâd.
Et vous avez prétendu qu’il y a des armes chez moi,
Et chacun d’entre vous nourrit haine et jalousie.
Vous dites la vérité, car je suis Son adorateur,
et le serviteur de l’adorateur de Dieu, Lui qui rend grâce.
C’est aussi vrai si vous dites que je mène le jihâd,
car, pour l’amour de Dieu le Majestueux, je mène le jihâd.
Moi, je mène le jihâd par les sciences et la piété,
étant un adorateur de Dieu au service du Prophète
l’adorateur de Dieu et que je mène le jihâd.
Et vous avez prétendu qu’il y a des armes chez moi,
Et chacun d’entre vous nourrit haine et jalousie.
Vous dites la vérité, car je suis Son adorateur,
et le serviteur de l’adorateur de Dieu, Lui qui rend grâce.
C’est aussi vrai si vous dites que je mène le jihâd,
car, pour l’amour de Dieu le Majestueux, je mène le jihâd.
Moi, je mène le jihâd par les sciences et la piété,
étant un adorateur de Dieu au service du Prophète
et Dieu le Maître Absolu en
est le témoin.
Il indique ainsi que son jihâd repose sur la science et la piété, autrement dit, sur les valeurs morales, qui peuvent garantir la paix et le salut pour la société. En fait, la propagation de l’animosité et les différentes formes de violence proviennent essentiellement de l'absence de ces valeurs. Dans ce même poème cité ci-haut, le cheikh continue ainsi :
Mes écritures remplacent les armes
Et les déplacements à la recherche des maîtres spirituels
Lorsque des ceddos
venaient auprès du revivification de l’islam, à savoir Khadimou Rassoul, pour se
convertir à l’islam, Cheikh À. Bamba leur demanda de lui donner leurs armes
qu’il en fît des ardoises (ALIO) servant
à l’enseignement coranique ainsi que des valeurs islamiques et des matériels
agricoles pour en cultiver la terre. Cette manière de faire constitue un signe
que Bamba nous indiquait afin de nous faire comprendre que le progrès d’une
société réside dans l’éthique, morale, mais également dans le travail.
Dans le souci de
combattre toute forme de
fanatisme religieux et toutes sortes d’intolérance et de dénigrement, Cheikh A Bamba avait ordonné à
ces disciples et à tous ceux qui veulent entendre le respect de toutes les
autres confréries ou pensée authentique et il faisait ainsi savoir que si les
approches sont différents, l’objectif reste le même, à savoir avoir l’agrément
d’Allan. Ainsi, il déclare dans sa fameuse œuvre l’itinéraire du Paradis
«Massalik al -Jinaan » :
Toute voie conduit le disciple
vers Dieu
Qu’elle soit celle de (Cheikh abdoul Qâdir)
Al- Jîlânî, celle de (Cheikh) Ahmad At- Tijjânî
Ou celle d’un autre homme de Dieu
car il sont tous sur la bonne voie
Et chacun d’eux appelle les disciples à l’adoration de Dieu par la droiture,
Ne calomnie donc jamais personne d’entre eux et ne leur conteste rien
Qu’elle soit celle de (Cheikh abdoul Qâdir)
Al- Jîlânî, celle de (Cheikh) Ahmad At- Tijjânî
Ou celle d’un autre homme de Dieu
car il sont tous sur la bonne voie
Et chacun d’eux appelle les disciples à l’adoration de Dieu par la droiture,
Ne calomnie donc jamais personne d’entre eux et ne leur conteste rien
Dans une optique équilibriste entre la « sharîa » et la « haqîqa » le Cheikh dit :
« Les jurisconsultes sont les protecteurs de la Sharîa et les pôles (mystiques) eux, ceux de la haqîqa. Il recommande donc de les respecter tous pour l’amour de Dieu. Mieux, le Cheikh a appelé à considérer tous les musulmans comme des frères :
Ne soyez jamais hostile à celui qui prononce « Lâ ilâha illa-l- Lâh » (il n’y a de divinité qu’Allah).
En fin de compte, ni la tolérance ni la cohésion ne peuvent exister dans une société musulmane tant que l’on n’arrive pas à transcender le sectarisme et les divergences idéologiques et considérer tous ses coreligionnaires comme des frères à aimer. C’est ce qu’on tire des enseignements du Cheikh. Il l'a vécu et l'a mis en œuvre et en a éduqué ses disciples.
Au Sénégal, pays à 95% musulmans, si un chrétien a pu devenir le
premier Président et diriger la République pendant 20 ans, il le doit
certainement à la grande tolérance des musulmans sénégalais qui ne font que
mettre en œuvre l’enseignement des Cheikhs soufis et plus particulièrement
l’enseignement du mouridisme. Dans le monde actuel, l'une des valeurs les
plus précieuses est la paix. En effet, sans elle tout progrès économique ou social
est impossible ainsi que d’avoir une situation qui permet d’instituer une
société de laquelle l’homme pourra atteindre le but pour lequel Dieu l’a crée à
savoir l’adoration de Dieu.
C'est pourquoi la meilleure
stratégie pour se prémunir contre la violence prônée par certains
courants islamiques est de mener une campagne orientée vers l’acceptation de la
divergence et faire savoir la Oumma que le monde musulman tel qu’il est
aujourd’hui est composé de plusieurs courants idéologiques et que ces courant
doivent coexister. Ainsi, au lieu de les se retrouver dans un ring pour que le
plus violent domine, on cherche à se mettre d’accord sur les différences. Les
enseignements du soufisme et plus particulièrement ceux de Cheikh Ahmadou Bamba
constituent des sources intarissables pour cette éducation ; il suffit d'en
prendre conscience, d'en élaborer des stratégies appropriées et de les mettre
en œuvre. Cette responsabilité incombe
aux différentes autorités du pays : politiques, éducatives, religieuses.
Par Serigne Same
Bousso Abdourahmane
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