Le plaidoyer de Serigne Mbacké Bousso à Ngalandou Diouf relatif à la bonne gouvernance en 1934
A l'occasion du forum scientifique du Magal de Gade YELLE qui est devenu « une plateforme de partage et d’échanges sur des questions d’actualité nationale et internationale'' la commission scientifique nous a conviés cette année de réfléchir sur un thème hautement important : « le patrimoine du Sénégal : foi et vérité ».
Mais de quel patrimoine parle-t-on ? N’a-t-on pas tendance à valoriser le patrimoine matériel au détriment de l’immatériel ? L’archéologie sénégalaise a de tout temps privilégié les objets et relu l’histoire du pays à travers des reliques et lieux. Les historiens de leur côté ont beaucoup étudié les archives coloniales mais se sont très peu intéressés aux récits, témoignages, échanges épistolaires, et aux autres écrits des grands savant que comptent notre pays. Or cette partie de notre patrimoine mérite d'être prise en compte dans tout effort de construction national.
En effet, l'influence du patrimoine d'une société sur ses choix et orientations stratégiques demeure déterminante.. C'est pourquoi il est souvent reproché aux Etats africains de ne pas s'inspirer de leur propre patrimoine culturel pour bâtir leur mode de gouvernance et leur stratégie de développement. Dans une étude publiée par l'Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN) sur la situation économique de l'Afrique subsaharienne, l'on peut lire que ' « l'Afrique doit avoir une approche de développement certes tournée vers la modernité, mais qui repose sur une assise culturelle véritable » (Fall A.S. , 2016)1
Lorsqu'on évoque la bonne gouvernance chez nous, c'est le plus souvent à l'Occident que l'on cherche la référence, or notre culture regorge de valeurs qui constituent des socles solides de gestion vertueuse des affaires publiques. Nos érudits musulmans nous ont légué, en réalité, des enseignements profonds et riches en la matière.
Mais de quel patrimoine parle-t-on ? N’a-t-on pas tendance à valoriser le patrimoine matériel au détriment de l’immatériel ? L’archéologie sénégalaise a de tout temps privilégié les objets et relu l’histoire du pays à travers des reliques et lieux. Les historiens de leur côté ont beaucoup étudié les archives coloniales mais se sont très peu intéressés aux récits, témoignages, échanges épistolaires, et aux autres écrits des grands savant que comptent notre pays. Or cette partie de notre patrimoine mérite d'être prise en compte dans tout effort de construction national.
En effet, l'influence du patrimoine d'une société sur ses choix et orientations stratégiques demeure déterminante.. C'est pourquoi il est souvent reproché aux Etats africains de ne pas s'inspirer de leur propre patrimoine culturel pour bâtir leur mode de gouvernance et leur stratégie de développement. Dans une étude publiée par l'Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN) sur la situation économique de l'Afrique subsaharienne, l'on peut lire que ' « l'Afrique doit avoir une approche de développement certes tournée vers la modernité, mais qui repose sur une assise culturelle véritable » (Fall A.S. , 2016)1
Lorsqu'on évoque la bonne gouvernance chez nous, c'est le plus souvent à l'Occident que l'on cherche la référence, or notre culture regorge de valeurs qui constituent des socles solides de gestion vertueuse des affaires publiques. Nos érudits musulmans nous ont légué, en réalité, des enseignements profonds et riches en la matière.
Prenons l’exemple du texte écrit par l'éminent savant Cheikh Mbacké Bousso (1864-1946). C’est un plaidoyer fondateur relatif aux principes de la bonne gouvernance. A l’origine, c’est en quelque sorte une lettre ouverte rédigée à l'intention de l’Honorable Ngalandou Diouf, en 1934, l'année où ce dernier a été élu député du Sénégal au Parlement français.
Dans ce texte intitulé ''La voix de la Vérité s'exprime!''2 le sage s'adresse à la fois au peuple sénégalais, au député élu et à ses alliés. La vision politique qui se dégage du texte, bien qu'il date d'environ 85 ans, est d'une actualité étonnante, comme si le cheikh s'adressait à notre classe dirigeante d'aujourd'hui. En adoptant un style très original, Serigne Mbacké parle au nom d'Allah, Al-Haqq {la Vérité}, comme si c'est Dieu Lui-même qui s'adresse à l’Honorable Ngalandou. Ce style symbolique confère au texte une dimension morale profonde, nécessaire à une prise de conscience de la responsabilité quasi-sacrée de gouverner un peuple.
Il exhorte, d'abord, le nouvel élu à être humble, en prenant cette investiture comme une responsabilité et une épreuve de son Seigneur qui va le juger selon ses comportements et actes. La nomination ne doit pas être considérée comme une faveur ni signe de sa supériorité au sein des citoyens. Il écrit ceci : « Sois alors reconnaissant envers Moi, Ngalandou Diouf, en te considérant comme étant un parmi eux (les Sénégalais) et en ne te voyant pas meilleur qu'eux, mais comme quelqu'un que J'ai choisi parmi eux afin d'observer comment tu te comporteras. J'élève quiconque se montre humble et Je rabaisse quiconque se montre orgueilleux ».
Il lui rappelle, ensuite, le principe de base d'un Etat républicain à savoir l'égalité et l'équité dont le non respect est synonyme de trahison : « Sois alors reconnaissant envers Moi, en évitant de Me trahir et de trahir l'État républicain, car il est bâti sur l'égalité contre le despotisme ». L'auteur, lui enjoint de refuser la corruption avec une analyse pertinente de ses effets néfastes sur la gouvernance qui engendrent l'injustice. C’est ainsi qu’il lui dit: « Refuse la corruption, car si tu te laisses corrompre, tu élèves le corrupteur au-delà de ses mérites et tu traites les autres en dessous de leurs mérites. Et chacun de ces deux actes constitue une injustice, or Moi, Je n'aime pas les injustes ». Il lui conseille aussi d'éviter la vengeance et d'être généreux : « Sois alors reconnaissant, en pardonnant à celui qui te fait du tort, en Me laissant M'occuper de lui, car Je suis Celui qui rend justice à ceux qui sont lésés, victimes des injustes. Sois généreux envers celui qui te refuse ses dons et garde de bonnes relations avec celui qui te snobe. Voilà les qualités que J'agrée pour les vertueux parmi Mes serviteurs, et particulièrement pour ceux à qui Je donne le pouvoir sur leurs semblables ».
Le passage qui suit met l'accent sur l'attitude à attendre des alliés du député élu. Serigne Mbacké Bousso s'adresse à eux en ces termes : « Quant à vous, qui l'avez élu, soyez reconnaissants, en l'aidant à développer ce pays béni. Évitez de lui demander des choses n'ayant pas de caractère d'intérêt général, mais uniquement des choses qui relèvent de l'intérêt général...». Il conclut ce paragraphe par une observation aussi instructive sur les dangers d'une politique de favoritisme et de népotisme en disant : « Sachez que le passé n'était ténébreux que par le fait d'élever le partisan au-delà de ses mérites, en fermant les yeux sur ses torts et ses travers, et de porter préjudice à l'opposant, quelque nombreux que soient ses mérites».
En termes de priorités, Serigne Mbacké Bousso en indique deux à Ngalandou dans les domaines de la justice et du développement économique à travers le secteur primaire et l'artisanat:
- « Sois donc reconnaissant envers Moi, Galandou Diouf, en développant Mon pays, en t'occupant de Mes serviteurs, en ramenant les exilés chez eux, en libérant les prisonniers, en soutenant les faibles et en aidant les professionnels dans leur profession afin qu'ils ne soient pas exposés au marasme ».
- « Accorde la priorité aux cultivateurs, aux cultivateurs, aux cultivateurs puis à leurs semblables, car ils sont les meilleurs moteurs du développement de la terre, ceux dont l'action est la plus bénie, ceux dont le travail est le plus pur et le plus licite et ceux dont le revenu est le meilleur, si bien qu’ils ne trichent pas dans leur commerce ».
Une analyse de ce texte de Serigne Mbacké Bousso peut révéler de manière évidente les principes fondamentaux d'une bonne gouvernance : la justice, l'équité, la transparence, la valorisation des compétences, la modestie, l'intégrité, etc.
En somme, dans ces courts extraits, tirés d'un texte d'environ six pages, nous avons voulu montrer comment nos érudits nous ont laissé des enseignements aussi profonds sur la bonne gouvernance et sur d'autres questions sociétales. Des enseignements riches qui n'ont rien à envier aux grandes philosophies occidentales, mais royalement ignorés par la quasi-totalité de nos dirigeants. En mon avis, il est temps, comme on peine toujours à décoller, de revisiter notre patrimoine afin d'en puiser des ressorts endogènes d'un développement durable et conformes à nos réalités.
samebousso@yahoo.fr
www.samebousso2.blogspot.com
1
Fall Abdou
Salam, 2016, Les affaires et l’économie dans la région de
l’Afrique subsaharienne, IFAN, World Leadership Alliance, Club de
Madrid, et Institut Africain de Gouvernance, 51 p.
2
Il s’agit
d’une lettre adressée par Cheikh Mbacké Bousso (1864 –
1946) à l’honorable député Galandou Diouf (1875 – 1941),
député du Sénégal à la Chambre des députés française
de 1934 à 1941. Le texte original en version arabe a été publié
dans un recueil de correspondances de Cheikh Mbacké Bousso
rassemblées et éditées en 1996 par le Centre de Recherche sur
l'Histoire, les Arts et la Culture islamique de Turquie.
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